D'une mère à son fils

D'une mère à son fils

Sous les bombardements

La guerre, toujours injuste et cruelle, amène chaque fois dans son sillage un déferlement de malheurs et de dommages pour la chair comme pour l'âme. Le conflit qui touche l'Europe au début des années 40, et par extension La Seyne, ne fait pas exception.
Sans nier la violence des combats de 1939 et 1940 et les frustrations et pénuries d'une vie à continuer après l'armistice, l'existence en zone Sud est un peu plus sereine qu'en zone Nord. Cette dernière, administrée par l'occupant allemand, subit un joug plus sévère que la zone Sud, administrée par le régime de Vichy. 

Mais les choses changent en novembre 1942, lorsque l'Allemagne décide de lancer l'opération Anton en réaction au débarquement des Alliés en Afrique du Nord. Désormais, les Allemands sont partout. Et il faudra bien les y déloger. 

C'est dans ce contexte que s'inscrivent les lettres de Marguerite à sa mère Marie-Louise.

Des lettres longtemps oubliées

Marguerite Voiron née en 1912 à Albertville. Elle est la fille d'Alfred Voiron et de Marie-Louise Préione. Après une jeunesse en Savoie et une première vie parisienne, elle pose finalement ses bagages en 1932 à La Seyne avec Charles Godiani qu'elle épouse 2 ans plus tard. Le couple s'installe au n°5 du boulevard du 4 septembre et en 1938, Jean-Pierre Godiani, leur fils, nait à l'hôpital de La Seyne.
La guerre éclate l'année suivante et après presque 1 an de mobilisation, Charles revient à La Seyne. La vie de famille reprend alors bon an mal an.

Marguerite et Jean-Pierre sur le boulevard du 4 Septembre en août 1940 (45S3)
Marguerite et Jean-Pierre sur le boulevard du 4 Septembre en août 1940 (45S3)

Mais, lorsque l'Allemagne nazie décide d'envahir et d'occuper à son tour la zone Sud en novembre 1942, la pression de la guerre se fait plus forte pour la population. Les Alliés, déjà en Afrique du Nord, ne vont pas tarder à remonter vers l'Italie puis poursuivre leur chemin vers Berlin. Quand la Botte capitule le 3 septembre 1943, il ne fait plus aucun doute que le conflit va s'intensifier chez nous.
Ainsi, dès l'été 1943, Jean-Pierre est envoyé chez ses grands-parents en Haute-Savoie, à Seyssel, pour l'éloigner le plus possible des combats qui se profilent. Son exil vers les campagnes, c'est celui de nombreux petits Seynois d'alors.
C'est à partir de là que sa mère débute sa correspondance pour donner des nouvelles de sa vie à La Seyne et en obtenir de celle de son fils en retour.

Ces lettres, au nombre de 15, sont arrivées aux Archives de La Seyne grâce au fils de Marguerite, qui les a retrouvées dans les papiers de sa mère en 2000 au décès de cette dernière. Longtemps restées dans une petite boite jaune, elles sont finalement ressorties et exploitées par son fils 20 ans après pour les faire découvrir à sa famille. Le devoir accompli, il fait le choix de les donner à la Ville en 2023 pour que l'histoire de sa mère, qui fut l'histoire de tant d'autres Seynois anonymes, puisse être redécouverte et appréhendée par les générations suivantes.

Signé Patchiqua

Les lettres conservées commencent probablement au cours de l'hiver 1943-1944 car la première lettre n'est pas datée. Toutes celles qui suivront seront datées ou presque.
L'apport historique de ces lettres est énorme, car elles montrent tout à la fois, le quotidien dans ce qu'il a de plus trivial et banal, l'organisation de la cité en temps de guerre avec les abris anti-aériens, mais également le désespoir et la peur abjecte ressentie lorsque l'on frôle une mort aveugle.

On peut retrouver dans une même lettre un long paragraphe sur la façon d'habiller le petit et sur la météo, avant d'enchainer sur la peur d'être réquisitionné par les Allemands. Certains courriers évoquent l'organisation aux PTT, là où travaille Marguerite, avec les difficultés pour se chauffer qui entrainent des arrêts maladie à répétition.
Les courriers sont riches en renseignements sur la vie quotidienne lorsque commencent les bombardements, avec ces commerces qui ferment au gré des exils, le marché qui voit son offre se réduire, les pénuries alimentaires et de chauffage ou autres matières premières.


Mais là où les lettres sont les plus marquantes, c'est lorsqu'elles abordent, parfois durement, la réalité des bombardements qui touchent les environs puis La Seyne.
Lorsque les bombes commencent à tomber sur Toulon, Marguerite ne peut s'empêcher de se demander quand viendra le tour de La Seyne, avec un certain fatalisme. Quand enfin la Seyne est la cible de l'aviation alliée, elles évoquent des commerces touchés, ou des commerçants ayant perdu beaucoup comme le vendeur de journaux monsieur Gauthier.

Émile Gauthier devant sa boutique du port dans les années 50 (40S173)
Émile Gauthier devant sa boutique du port dans les années 50 (40S173)

On voit également les sentiments mitigés de la population vis-à-vis des Alliés, et en particulier des Anglais, après les bombardements qui font tant de victimes civiles en raison de leur imprécision.

Au fil des alertes et des bombes, on commence à concevoir le traumatisme causé, la peur panique lorsqu'elle pense à l'arrivée de bombardiers imaginaires, son désir de s'enfuir de ces atrocités, son angoisse lorsque les bombes pleuvent autour d'elle alors qu'elle est couchée à même la rue, voyant les habitations se faire pulvériser tout autour d'elle.....La mort....Partout.
Les lettres évoquent ainsi de nombreux drames de l'histoire seynoise tels celui de l'émissaire commun, la fusillade du poste de police ou encore la dévastation du patronage laïque.

Un abri anti-aérien détruit

Le patronage laïque était situé là où se dresse aujourd'hui l'actuelle Mairie sociale, rue Ernest Renan. Actif depuis 1912, le bâtiment accueille pendant la guerre du personnel administratif municipal et fait partie des quelques abris anti-aérien aménagés à l'Ouest de la Ville. Il est le plus proche de là où habite Marguerite sur le boulevard du 4 Septembre. Si elle préfère généralement s'abriter dans l'abri des Coopérateurs juste à côté, elle y vient néanmoins.
Le 29 avril 1944, un bombardement aérien dure pas moins d'1h20. Surprise à la maison, elle ne peut que s'allonger dans le jardin avec sa petite voisine. Alors qu'elle pense le bombardement terminé, elle s'aventure sur le boulevard et se fait surprendre par une nouvelle vague. Prise de terreur, elle se précipite vers l'abri du patronage laïque situé juste à côté, mais dans son affolement n'en trouve pas l'entrée et finit à l'abri de l'école Curie. C'est ce qui lui sauvera la vie, car au cours de ce bombardement, 3 bombes tombent à proximité immédiate du patronnage qui est anéanti. Ses occupants malheureux ne survivront pas au souffle des explosions.

Enfin la Libération

Début août 1944, Marguerite se questionne dans une lettre, imaginant un débarquement prochain. C'est chose faite quelques jours plus tard. Après des jours d'angoisse, terrés dans les abris à subir le pilonnage de la Marine, la Seyne et Toulon sont enfin libérées. Dans sa dernière lettre, elle évoque la vie qui reprend son cours, le marché noir, les produits américains, les velléités de Charlie qui veut s'engager.
La guerre sera bientôt terminée, mais elle laissera des traces profondes dans la ville qui a vu tant des siens périr et tant de destruction à l'image de son port et de ses Chantiers.

L'intérieur des Chantiers détruit (2S137)
L'intérieur des Chantiers détruit (2S137)

1943-2023, 80 ans après, les textes de Marguerite résonnent encore en nous. Ils sont des témoignages précieux de la vie des Seynois d'alors, fragments d'une histoire commune et anonyme qui nous permettent aujourd'hui de recontextualiser une page douloureuse de la vie de notre cité.

Les lettres de Marguerite sont ici dans leur version originale mais également dans une version retranscrite par Jean-Pierre. Ces lettres, ainsi que l'ouvrage riche en contexte de son fils, sont également consultables en salle de lecture.
Cette histoire ainsi que de nombreuses autres sont à retrouver chez nous aux Archives, toujours prêts à en recevoir et en sauvegarder de nouvelles.

Ci-dessous, retrouvez chacune des lettres. Les premières images correspondent aux originaux, mais si vous avez quelques difficultés à lire, à la fin de chaque lettre, vous trouverez une retranscription

Lettre Hiver 1943-1944

Lettre Hiver 1943-1944
Lettre Hiver 1943-1944

Lettre du 8 février 1944

Lettre du 11 mars 1944

Lettre du 11 avril 1944

Lettre du 29 avril 1944

Lettre du 2 mai 1944

Lettre du 17 mai 1944

Lettre du 28 mai 1944

Lettre du 31 mai 1944

Lettre du 4 juillet 1944

Lettre du 11 juillet 1944

Lettre du 19 juillet 1944

Lettre du 11 août 1944

Lettre du 19 octobre 1944

Lettre du 14 décembre 1944